N’en déplaise à Jean-Marc Jancovici, l’abondance énergétique neutre en carbone dès 2050, c’est possible !
Voici comment
J’ai découvert une entreprise très prometteuse, dont personne ne parle (encore) en France et qui, je le pense, a trouvé la clef pour nous sortir de l’impasse énergétique.
J’en ai vu passer des projets mais celui-là a quelque chose d’unique. Une vision claire, articulée finement, une solution technique simple et implacable, avec l’équipe pour y arriver. Le concept sera copié, et tant mieux pour la planète !
Je vais tâcher dans cet essai de justifier aussi clairement que possible l’assertion ambitieuse partagée en titre et qui repose en partie sur le concept innovant de cette entreprise.
Cet essai est un peu long mais il est très didactique, découpé en parties claires, et résumé en 5 points d’entrée. Il a aussi été publié en version un peu plus courte dans le Journal du Net.
N’hésitez pas à me partager vos commentaires, critiques ou questions à parlonsfutur@substack.com !
Dans les débats sur la transition énergétique, la figure de Jean-Marc Jancovici est incontournable : à l'écouter, si nous voulons limiter les dégâts, il est urgent de réduire notre consommation d'hydrocarbures, et dans tous les cas, ceux-ci ne seront plus aussi abondants que par le passé. Il aime à répéter que le pic de production mondiale du pétrole conventionnel a été atteint en 2008 par exemple.
Compte tenu d’une part des difficultés à déployer en masse énergies renouvelables et nucléaire, et d’autre part du problème de l'intermittence pour les énergies renouvelables non-pilotables, on n'aura le choix au XXIème siècle, dit-il, qu'entre les privations subies ou choisies : pauvreté ou sobriété.
C'était un raisonnement imparable et tout à fait pertinent...jusqu'à récemment : nous avons depuis quelques années assez de recul sur certaines tendances de fond pour pouvoir dire qu'il comporte des failles majeures quant à l’après 2050, que nous allons aborder dans cet article.
En résumé :
1. Le prix de l’énergie solaire photovoltaïque (PV) baisse de façon quasi continue depuis 1970 (lien)
2. Au rythme actuel, avant 2040, il va devenir moins cher de produire des hydrocarbures de synthèse neutres en carbone grâce à l’air ambiant et au solaire PV que de les extraire du sol dans la plupart des cas (lien)
3. Il y a assez de matières premières et de surfaces ensoleillées dans le monde pour construire et installer un parc de panneaux à même de générer chaque année l’équivalent en gaz de notre consommation actuelle en énergies fossiles (lien)
4. Au rythme actuel des déploiements de panneaux, avec un parc total installé qui double tous les 2 ans, on pourrait atteindre la taille critique avant 2040 (lien)
5. Et c’est sans compter les progrès sur la fusion. Jean-Marc Jancovici n’envisage pas un début d’exploitation commerciale avant 2095, mais des entreprises en pointe prévoient un début d’exploitation avant fin 2030. (lien)
On en conclura que l’abondance énergétique verte et pilotable est en vue avant 2050, ce qui nous permettrait de faire chuter d’ici là à quasi zéro les émissions nettes mondiales de CO2, l’objectif fixé par le GIEC pour le CO2 en 2050 afin de limiter la hausse du réchauffement climatique aux fameux 1.5°C.
Les incitations économiques se mettent en place pour cela, mais tout effort de sobriété et investissement supplémentaire dans les autres énergies décarbonées sont plus que bienvenus pour limiter plus encore la casse d’ici à 2050.
1. La vertigineuse chute du coût de l’énergie solaire photovoltaïque
Une façon de quantifier l’énergie produite ou consommée est d’utiliser l’unité MWh, pour Mégawatt-heure. 1 MWh est égal à 1,000 kWh (kilowatt-heure).
Pour contexte, un foyer français consomme en moyenne 350 kWh par mois et le coût moyen de l’électricité en 2022 était de 0.21€/kWh, représentant une facture moyenne de 70€ par mois.
Voyez ce graphique ci-dessous, il représente l’évolution du coût de production d’1 MWh pour différentes sources de 2009 à 2019.
Regardez la courbe orange de l’électricité solaire PV : elle a décliné de 89% en 10 ans pour devenir la moins chère !
On parle bien ici du coût « LCOE », pour « Levelized Cost Of Energy », qui prend le coût initial de construction d’une infrastructure et l’ajoute aux coûts d’opération et de maintenance (dont les coûts financiers, le loyer) sur toute sa durée de vie, et divise ce tout par la quantité totale d’énergie produite, pour arriver à un coût complet par unité d’énergie produite.
Ce coût ne tient pas compte par défaut de l’intermittence de certaines énergies, mais nous allons expliquer plus loin pourquoi ce n’est pas un problème pour la synthèse d’hydrocarbures neutres en carbone.
On voit donc qu’en 2019 on arrive à 40 US$ le MWh, ce qui revient à 0.04$ le kWh (kiloWatt-heure).
Cette chute spectaculaire a fait mentir le pronostic de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA en anglais) établi en 2010 pour la décennie qui allait suivre. Regardez ci-dessous.
L’IEA en 2010 prévoyait qu’en 2019 l’énergie solaire PV coûterait autour de 0.23$/kWh, près de 6 fois plus que la réalité des 0.04$/kWh vus plus haut !
À la vitesse à laquelle l’IEA en 2010 voyait ces coûts baisser, il aurait fallu encore attendre 100 ans pour arriver au coût auquel on est en fait aujourd’hui.
Même l’expert en énergie Ramez Naam, pourtant très « bullish » sur le solaire PV, s’est complètement planté. En 2011 il prévoyait qu’on serait autour de 0.14$/kWh en 2019, 3.5 fois plus que la réalité.
Et ça continue, en avril 2020, un chantier aux Emirats Arabes Unis a reçu et choisi une offre à 0.0135$/kWh “LCOE”, on parle bien d’1,35 cent le kWh. Offre formulée par un consortium composé de… EDF, cocorico, et le fabricant chinois de panneaux solaires Jinko.
Un an plus tard en avril 2021, un autre chantier en Arabie Saoudite, lui, “vendra de l'électricité à un prix record mondial de 0,0104 $/kWh”.
Vous voyez le sens de l’histoire ?
Mais pourquoi les prix de l’énergie solaire PV ont-ils chuté à ce point ?
Du fait des progrès techniques, innovations et économies d’échelle réalisées à mesure que la quantité de panneaux solaires produite chaque année augmente ! Un cycle vertueux a été enclenché, plus leur coût de fabrication baisse, plus on en installe, et plus on en installe, plus on investit dans la recherche et plus on apprend à les faire plus efficacement, et plus leur coût de fabrication baisse, et ainsi de suite.
Les panneaux solaires se prêtent à la loi de Wright, une loi empirique qui décrit cette tendance des produits construits en masse et dont la demande n’est pas saturée à voir leur coût baisser d’un pourcentage à peu près constant à chaque doublement de la production totale cumulée, du fait de l’innovation, de la concurrence et des économies d’échelle.
On connaît bien le nom de cette loi pour les microprocesseurs, la loi de Moore, et elle porte aussi un nom pour les panneaux solaires, la loi de Swanson.
De 1970 à 2020, le coût d’un panneau solaire a ainsi été divisé par 500, passant de 100$/watt à 0.2$/watt. Cette chute des prix est en fait unique dans l’histoire du déploiement d’infrastructures physiques, selon Ramez Naam.
Voyez ci-dessous l’évolution du prix d’un panneau solaire (en $/watt) de 1976 à 2019 au fur et à mesure des années et de l’élargissement du parc total installé. Les prix ont baissé de 99.6% sur cette période !
On peut calculer que le prix a baissé en moyenne de 20% à chaque doublement du parc total installé sur cette période.
Et si on en revient au prix de l’énergie solaire PV produite, le « Levelized Cost Of Energy», l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA en anglais) a calculé qu’il baisse de 38% chaque doublement du parc total installé.
La conséquence est qu’on assiste à une explosion des installations et de la production année après année.
Voyez ci-dessous l’évolution de la production d’énergie électrique solaire PV mondiale de 1980 à 2021.
La capacité installée totale cumulée dans le monde croît de façon exponentielle également au sens où elle double à intervalle de temps régulier. C’est même mieux que cela, cet intervalle de temps se réduit ! Il a fallu 4 ans pour arriver au doublement en 2015, que 3 ans pour le doublement d’après en 2018, et moins de 2 ans pour le dernier doublement achevé en 2023.
Cette explosion a en fait surpris tout le monde, il est intéressant d’en revenir aux prévisions de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA), elle s’est systématiquement trompée.
Regardons ci-dessous ses prévisions année après année de la nouvelle puissance installée par an pour les années à venir (les traits bleu et noirs plutôt stagnants).
En rouge on peut voir l’évolution réelle de la nouvelle capacité installée chaque année, et à côté donc les prévisions de l’IEA (le WEO, pour World Energy Outlook, est une publication annuelle de l’IEA) qui sont sans cesse revue un cran plus haut pour coller à la réalité du moment, mais prévoyant ensuite une évolution plate contredite dès les années suivantes !
Le rapport de 2019 prévoyait qu’en 2021 on installerait moins de 125GW de panneaux solaires. La courbe rouge de la réalité s’arrête en 2019, mais on connaît la valeur réellement installée en 2021 depuis : 180GW ! L’explosion exponentielle du déploiement se poursuit à ce jour !
Pourquoi les prix de l’énergie solaire PV continueraient-ils à baisser dans les prochaines années ?
Car hausse de la demande, augmentation des volumes et baisse des prix s’autoalimentent, et que les ressources nécessaires pour produire les panneaux sont suffisamment abondantes (cf partie 3).
L’énergie solaire PV est déjà moins chère que ses concurrentes dans certains endroits du monde, où il est maintenant plus rentable d'installer et d'opérer un nouveau champ de panneaux solaires que de continuer à opérer une centrale existante au charbon/gaz.
Compte tenu de l’appétit insatiable de nos économies modernes pour l’énergie, et plus encore pour une énergie propre et bon marché, à mesure que les coûts baissent, il sera rentable de produire cette énergie renouvelable dans plus en plus d’endroits sur Terre. La demande ne peut donc que continuer à exploser tant que les prix baissent.
Et les prix baisseront en parallèle on l’a dit du fait des économies d’échelle réalisées grâce aux volumes de production toujours plus grands, grâce aux investissements en R&D, grâce aux améliorations apportées aux processus de fabrication des panneaux et de leur installation, exploitation et maintenance.
Prenons l’exemple de l’entreprise Erthos qui aux Etats-Unis révolutionne le secteur avec le concept de pose à même le sol des panneaux, là où jusqu’à maintenant on les posait en position inclinée accrochés à des supports en acier, des supports soit fixes, soit avec la possibilité de bouger pour suivre le soleil. Avec leur système, Erthos peut certes capter moins d’énergie par panneau, mais elle peut disposer bien plus de panneaux au total dans un périmètre donné, voici la liste des avantages :
Les panneaux solaires n’ont plus besoin de supports en acier, ce qui économise 35 tonnes d’acier par MW de panneaux installés !
Un tel champ de panneaux solaires à plat s’installe 4 fois plus vite que la norme jusque-là
70% moins de câbles utilisés
70% moins de travaux de terrassement
70% moins d'eau utilisée
Résiste beaucoup mieux aux tornades car moins de prise au vent
Entretien moins cher car automatisé avec des robots nettoyants capables de rouler sur les panneaux posés à l’horizontal parterre
Jusqu'à 2 fois plus d'énergie produite par unité de surface vs l'état de l'art, car plus de panneaux installés dans un périmètre donné : besoin de 9,310m2 pour installer 1MW de puissance, contre entre 20,000 et 40,000m2 pour la norme jusque-là
Avec ces innovations, le CEO d’Erthos expliquait fin août 2023 qu’ils sont en mesure de proposer aujourd’hui un « Levelized Cost Of Energy» pour des projets dans le sud des Etats-Unis de 25-26$/MWh, alors que les prix de marché des concurrents sont autour de 31-32$. Et ce prix va bien sûr continuer de baisser au fur et à mesure que le coût de fabrication des panneaux baissera lui-même. Il est déjà bien plus bas aux Emirats Arabes Unis et en Arabie Saoudite par exemple sur les nouveaux projets, on l’a vu plus haut.
Est-ce que les prix vont continuer à baisser indéfiniment ?
Non bien sûr, mais en réalité il suffit juste qu’ils baissent encore quelques années au rythme actuel pour qu’on puisse produire du gaz et autres hydrocarbures de synthèse neutres en carbone à un prix compétitif d’abord, mais ensuite rapidement plus bas que ceux du marché, quasiment partout sur Terre. Cela permettra à l’explosion des installations de continuer jusqu’à saturation de la demande et élimination quasi totale des énergies fossiles ! Une fois atteint ce niveau atteint, estimé à 10$/MWh (on y est déjà quasi dans certains endroits), les prix du solaire PV pourront continuer à baisser mais ce ne sera même pas nécessaire pour éclipser les hydrocarbures extraits du sol, c’est-à-dire fossiles.
Nous allons développer ce dernier point dans la prochaine partie.
2. Avant 2040 il sera plus rentable de fabriquer des hydrocarbures de synthèse que de les extraire du sol à peu près partout
La startup Terraform Industries, fondée par Casey Handmer, un ancien ingénieur du prestigieux labo Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, a publié en janvier 2023 un livre blanc édifiant qui explique par le menu comment il sera très bientôt possible grâce à l’énergie solaire PV de transformer l’air de l’atmosphère en méthane (gaz naturel) à des prix compétitifs. On parle d’e-méthane ou électro-méthane.
Un tel gaz de synthèse a l’avantage d’être neutre en carbone : on prend du carbone de l’atmosphère pour le synthétiser, et on en émet autant quand on le brûle, le bilan est nul, on n’a pas ajouté de CO2 à l’atmosphère en net. Et d’ailleurs, comme une partie de ce gaz pourra servir à produire des objets durables en plastique, il va ainsi piéger du carbone qui ne reviendra pas dans l’atmosphère de sitôt, on peut donc même parler d’émissions négatives à la marge.
Le concept est assez simple : utiliser l’énergie solaire PV pour capter eau et CO2 présents dans l’atmosphère, séparer l’eau en hydrogène H2 et oxygène O2, faire réagir hydrogène et CO2 pour produire du méthane (CH4) prêt à être injecté dans un pipeline, sans besoin de compression intermédiaire. Cette dernière réaction a été mise au point en 1897 par le chimiste français Paul Sabatier qui lui a donné son nom.
Ce sont précisément les techniques qui sont envisagées pour produire du méthane et de l’oxygène sur Mars à partir des éléments présents sur la planète rouge, le méthane et l’oxygène constituant le couple carburant/comburant utilisé par la fusée Starship de SpaceX en développement ! Ce n’est pas un hasard si le fondateur de Terraform Industries travaillait sur des rovers martiens à la NASA !
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Sachez aussi que le transporteur français CMA-CGM, par exemple, a décidé de miser sa transition énergétique sur le méthane liquéfié (LNG, pour Liquefied Natural Gas). D’ici à fin 2024, il disposera de 44 navires fonctionnant au LNG qui seront compatibles avec le e-méthane, soit déjà plus de 7% de sa flotte totale, dont son plus gros bateau, le “Jacques Saadé” (nommé en hommage au fondateur de CMA CGM), entré en fonction en 2020, et 10ème plus gros modèle de porte-conteneurs au monde.
Il est même possible de générer d’autres hydrocarbures à partir du méthane, comme le kérosène pour les avions ou le méthanol sur lequel bascule le transporteur maritime Maersk. Cette technique va donc permettre de battre sur les prix à terme toutes les énergies fossiles ! La question est de savoir si on pourra la déployer assez vite et jusqu’à quelle échelle, ce que nous allons voir dans les prochaines parties.
Leur système génère même de l’eau liquide en excès, prélevée dans l’atmosphère, et ce même dans les zones désertiques.
La beauté, la simplicité de leur approche est de ne pas chercher à mettre au point les machines les plus efficaces qui soient pour ces procédés, mais les machines les moins chères possibles, en misant sur la baisse continue de l’énergie solaire PV jusqu’à au moins 0,01$/kWh.
Citons un passage tiré de leur livre blanc qui illustre parfaitement leur philosophie :
« Nos machines sont simples. Elles utilisent des matériaux et des pièces standard disponibles presque partout sur Terre. Leur fabrication est simple et ne nécessite aucun outillage de précision, aucune formation approfondie ou matériaux particulièrement dangereux. »
« Il existe un compromis entre efficacité et complexité/coût. Mais l’efficacité électrique compte moins que l’efficacité du capital si l’on veut scaler rapidement. Pourquoi donc? Le système de production de gaz naturel de Terraform Industries comporte de nombreux facteurs de production : main d’œuvre, matériaux, électricité. Un seul d’entre eux devient moins cher, l’électricité. Les machines moins chères et à moindre efficacité électrique profitent des avantages d’une électricité moins chère. »
« Nous n’avons pas l’intention de gaspiller beaucoup d’efforts pour tenter de découvrir des processus suffisamment obscurs pour être brevetables et néanmoins suffisamment utiles pour qu’ils puissent nous aider d’une manière ou d’une autre à évoluer plus rapidement. Les outils sont à notre disposition. Les brevets ont expiré il y a 50 ans. Ce processus n’est pas particulièrement difficile, il s’est simplement révélé historiquement peu rentable car l’électricité n’était pas assez bon marché à l’époque. Elle l’est maintenant. »
Leur machine, dont les plans ont été dévoilés en juin 2023, convertit de l’électricité à 0,01$/kWh en gaz naturel (méthane) neutre en carbone à un prix de moins de 0.5€/m3 (moins de 15$/kcf ou thousand cubic feet).
Elle est conçue pour tenir démontée dans un container. La production démarre Q2 2024.
Pour contexte on était entre 1€ et 3€ le m3 de gaz selon les critères en France en décembre 2022.
Leur machine n’a pas à être reliée au réseau électrique : couplée à un champ de panneaux solaires, elle utilise directement toute l’électricité produite pour générer du méthane. Autre économie, elle utilise directement le courant continu des panneaux, ce qui permet de se passer des onduleurs (qui d’ordinaire convertissent courant continu en courant alternatif à envoyer vers le réseau) !
Mais quand diable sera-t-on à 0,01$/kWh pour l’énergie solaire PV ? Cela va bien sûr dépendre notamment des endroits dans le monde et du coût des panneaux solaire. On y est quasi dans la péninsule arabe et le Sahara. Au rythme actuel de la baisse des coûts des panneaux, les endroits les plus propices permettront de produire du méthane de synthèse compétitif dès 2024, les endroits intermédiaires d’ici à 2032 et les marchés les moins propices avant 2040. Cela pourrait prendre plus de temps mais ne change rien à l’issue finale, c’est inévitable. En réalité, du fait des subventions aux Etats Unis suite à l’Inflation Reduction Act, couplée à la guerre en Ukraine, c’est déjà rentable dans le sud-ouest des Etats-Unis !
En effet, leur machine Terraform Mark 1 coûte 100k$, est autonome avec une maintenance minimale, et dure 5 ans. Elle doit être associée à un champ de panneaux solaires d’une puissance totale de 1MW, coûtant autour d’1 millions $ et qui dure 30 ans, soit un amortissement de 166k$ sur 5 ans. Ce qui donne un coût total de 266k$ sur 5 ans. Elle va générer 2,300 Mcf par an (milliers de « cube feet »), avec un prix de vente de 10$/Mcf et des subventions de 54$/Mcf, cela fait 2300*5*64=736k$ de revenus sur 5 ans.
Compte tenu des prix du gaz en Europe, s’ils y installaient des machines aujourd’hui et s’il y avait assez de panneaux solaires en place, même à leur prix d’aujourd’hui, alors ils seraient déjà meilleur marché que le gaz que l’Europe importe !
Mais quid des fuites de méthane ?
Une critique est que si la combustion du méthane synthétisé avec de l’énergie solaire PV est neutre en carbone pour l’atmosphère, sa production, distribution, stockage et utilisation génèrent en chemin des fuites ici et là, qui sont gravissimes car le méthane a un pouvoir de réchauffement global (PRG) 30 fois supérieur à celui du CO2 sur 100 ans, et même plus à court terme. Il y a quatre réponses à cela :
D’abord, il faut bien comprendre que le monde n’est pas prêt d’arrêter d’utiliser du méthane pour très longtemps compte tenu : i. de la difficulté à décarboner certaines activités très énergivores, ii. du problème de l’intermittence des énergies renouvelables, et iii. des aspirations au développement économique des pays dans le monde qui sont loin d’avoir le PIB/habitant de l’Europe ou des Etats-Unis (les PIB nominaux/habitant de la Chine et l’Inde sont respectivement de 16% et 3% celui des US). Donc par défaut ces fuites auront lieu quoi qu’il arrive pendant encore des décennies, on ne fait qu’au pire les remplacer.
Ensuite, beaucoup des fuites actuelles se produisent dans les sites de production de gaz fossile, là où les machines d’extraction sont en contact avec le sol et ses profondeurs, des environnements jamais exactement identiques et difficiles à contrôler parfaitement. À l’inverse, dans le cas de Terraform Industries, tout est standardisé, les fuites seront plus faciles à éliminer.
Et la baisse des prix de l’imagerie satellite couplée aux progrès en IA permettent déjà de détecter les fuites de méthane bien plus rapidement et systématiquement qu’avant, et cela ne peut que s’améliorer. Ces fuites constituant des pertes d’argent, si les détecter coûte de moins en moins cher, les opérateurs auront donc une incitation naturelle à les réparer. Les progrès dans la technologie des valves aideront également à résorber ce problème.
Enfin, Terraform Industries prévoit aussi à moyen terme que leurs machines puissent capter le méthane présent dans l’atmosphère pour le transformer en CO2, dont le pouvoir d’effet de serre est bien moindre, et qui sert par ailleurs d’ingrédient pour leur processus.
Pourquoi ne pas en rester à de l’hydrogène vert ? Pourquoi ne pas tout miser sur la “hydrogen economy” ?
Nous avons dit que la production d’hydrogène était une des étapes intermédiaires, mais pourquoi ne pas en rester là ? En effet, ce serait un hydrogène vert au prix compétitif !
C’est possible, mais l’hydrogène est bien plus difficile et cher à stocker et transporter que le méthane. Le méthane est 10 fois plus dense à température ambiante que l’hydrogène, au format gazeux. C’est-à-dire qu’une tonne d’hydrogène va occuper 10 fois plus de volume qu’une tonne de méthane. Sachant aussi que le méthane se liquéfie à -160°C contre -253°C pour l’hydrogène, et que le méthane liquide reste encore 6 fois plus dense que l’hydrogène liquide. L’hydrogène H2 est un très petit composé, qui s’infiltre partout, fuit très facilement. CMA-CGM s’est posé la question pour ses bateaux, mais explique qu’on ne peut stocker l’hydrogène que 16 jours du fait des fuites et de la très basse température requise, contre plus de 90 jours pour un bateau fonctionnant au gaz naturel liquéfié/e-methane.
L’hydrogène est aussi très instable, très dangereux, avec un grand risque d’explosion en contact avec l’oxygène dans les milieux confinés, et à partir de concentrations bien plus faibles que les hydrocarbures. Les risques d’accident sont donc très élevés et si nous devions tout miser sur la “hydrogen economy”, une catastrophe finirait par arriver inévitablement, ce qui ne manquerait pas de porter un coup d’arrêt à une telle transition.
Comme les baisses de coût de l’énergie solaire PV à venir vont permettre aussi de produire du méthane compétitif, autant le faire, car il est beaucoup plus facile à stocker et transporter, la demande est bien plus grande, et les infrastructures déjà existantes, contrairement à l’hydrogène où tout reste encore à faire !
Et pourquoi ne pas faire plutôt de l’ammoniac vert, sans carbone ?
D’autres encore proposent d’utiliser les énergies renouvelables et l’air ambiant pour produire plutôt de l’ammoniac, une molécule composée d’hydrogène et d’azote (NH3), à utiliser comme carburant décarboné. Mais la technologie de production de l’ammoniac vert n’est pas encore mature, tout comme celle des moteurs à ammoniac. Qui plus est sa combustion génère des émissions d’oxydes d’azote (NOx, pour nitrogen oxides en anglais) à fort effet de serre. L’un d’eux, le protoxyde d'azote, a un pouvoir de réchauffement global sur 100 ans 310 fois plus élevé qu'une masse équivalente de CO2. Cela pourrait se régler à terme avec des pots catalytiques, mais les besoins pour cela en platine et autres métaux rares à grande échelle compliquent encore l’équation. L’ammoniac est très toxique pour l’homme en cas de fuite. C’est une énergie moins dense que les hydrocarbones, la combustion est difficile à démarrer et requiert l’usage d’autres combustibles.
Bref, beaucoup de handicaps qui ont convaincu Lucie Nurdin, docteure en chimie de l’université de Calgary et diplômée de Normale sup’, de rejoindre Terraform Industries. Lucie Nurdin connaît bien le sujet, elle a fait ses études postdoctorales à l’université de Caltech (California Institute of Technology) précisément sur les carburants sans carbone à base d’hydrogène et d’azote. Elle me confiait que l’ammoniac pourrait être une solution, mais cela prendra 50 ans, nous n’avons pas le temps. Terraform Industries, avec son méthane de synthèse neutre en carbone, va pouvoir avoir un impact à grande échelle bien plus tôt, me disait-elle. (retrouver mon entretien avec elle sur Youtube ici)
3. Il y a assez de matières premières et de surfaces ensoleillées dans le monde pour construire et installer un parc de panneaux à même de générer chaque année le gaz de synthèse équivalent à notre consommation actuelle d’énergies fossiles
Partons de la consommation mondiale annuelle totale d’hydrocarbures en 2022 qu’on peut arrondir à 140,000 TWh, c’est-à-dire 140 millions de GWh.
Supposons qu’on produise tous ces hydrocarbures sous la forme de gaz de synthèse avec de l’électricité solaire PV et les machines de Terraform Industries, voyons si c’est possible.
Expérimentalement, l’efficacité de la conversion d’énergie électrique en gaz est autour de 30%, il faut donc 3.33 unités d’énergie électrique pour avoir une unité d’énergie sous forme de gaz.
Il nous faudra donc produire 420 millions GWh d’énergie solaire PV par an pour produire l’équivalent de toutes les énergies fossiles que nous avons consommées dans le monde en 2022.
La consommation mondiale d’hydrocarbures aujourd’hui est très probablement supérieure à celle de 2050
Il s’agit là d’un besoin probablement supérieur à celui de 2050, car en réalité la consommation mondiale d’hydrocarbures baissera à terme du fait de l’électrification, entre autres, du transport terrestre, du chauffage (pompes à chaleur) et des plaques de cuisson.
En effet, ces activités, une fois électrifiées, demanderont moins d’énergie pour le même résultat :
Une voiture électrique transforme près de 90% de l’énergie consommée en mouvement, contre 20% pour une voiture thermique : à énergie égale, une voiture électrique ira plus de quatre fois plus loin !
Certains modèles de pompe à chaleur affichent un rendement de 400 % ou plus, ce qui signifie que 4 kWh de chaleur peuvent être créés dans une maison pour 1 kWh d'électricité consommé par la pompe. Les chaudières à gaz modernes font au mieux 90% et ne peuvent pas dépasser les 100% du fait des lois de la physique.
Ainsi, même si toute l’électricité supplémentaire pour cette électrification est produite en brûlant des hydrocarbures, il en faudra beaucoup moins qu’on en brûle aujourd’hui pour cela dans les véhicules thermiques et les systèmes de chauffage et de cuisson.
Les économies d’énergie primaire réalisées par l’électrification devraient plus que compenser par ailleurs la hausse à venir des besoins énergétiques liés à l’essor du trafic aérien et maritime. Il y a de la marge vu que le transport routier émet aujourd’hui 4 fois plus de C02 que les transports aériens et maritimes réunis.
Dans notre scénario, nul besoin de batteries, nul besoin de raccorder le nouveau parc de panneaux au réseau
Dans notre scénario, comme toute l’énergie solaire PV générée va servir directement sur place à faire du gaz de synthèse neutre en carbone, nul besoin de se poser la question du cuivre ou des délais nécessaires pour raccorder les champs de panneaux au réseau électrique. Nul besoin non plus de se soucier de l’intermittence, nul besoin de se doter de batteries.
On se demande seulement s’il va être possible de produire chaque année toute l’énergie solaire PV nécessaire pour synthétiser l’équivalent des énergies fossiles utilisées aujourd’hui, et à quelle échéance.
Commençons par la question de la surface nécessaire
Partons sur la technologie d’Erthos détaillée plus haut, qui suppose de 9,310m2 pour 1MW de puissance. Supposons qu’elle ne fonctionne que 6 heures par jour pour être prudent et 80% des jours de l’année. C’est plutôt prudent car on situerait ces champs de panneaux dans les zones arides où il y a peu de nuages. Ces 9,310 m2 génèreraient donc 1MW*6h/jour*365jours*80%=1,752 MWh d’électricité par an, soit 1,75 GWh.
Nous avons besoin de 420 millions de GWh par an, donc un simple produit en croix nous montre qu’il faudra 420 millions*9,310/1,75=2,235,000 millions de m2, c’est-à-dire 2.2 millions de km2.
On pourrait objecter que nous n’avons pas compté ici la surface occupée par les machines de Terraform Industries qui viennent en plus des champs de panneaux solaires. En fait un tel champ prévoit déjà par défaut de la place pour des machines, les onduleurs, qui transforment le courant continu produit par les panneaux en courant alternatif à envoyer dans le réseau électrique. Mais ici on ne renvoie pas l’électricité vers le réseau, pas de raccordement au réseau, pas besoin d’onduleurs, on utilise l’électricité sur place pour faire du méthane ! Cette place réservée pour les onduleurs est alors occupée sans problème par les machines de Terraform Industries qui n’ont besoin que de 75m2 parmi les 9,300m2 qu’occupe un champ de panneaux solaires pour une puissance installée d’1MW, soit 0.8% de la surface, sachant qu’en fait seulemement 92% de la surface d’une installation est couverte de panneaux solaires avec Erthos, on est large !
Cette surface, 2.2 millions de km2, représente 1.4% des terres émergées sur Terre. Les déserts australiens occupent 2.7 millions de km2. On en aurait donc besoin de 80%. Mais on ne mettra bien sûr pas tout en Australie, on pourra aussi installer des infrastructures dans le Sahara (qui fait 9.2 millions de km2), et les autres endroits arides dans le monde, en Arabie Saoudite, en Chine, etc. À vrai dire les Etats-Unis ont assez de place pour subvenir à leurs propres besoins actuels en hydrocarbures. Et après quelques années supplémentaires de baisse du prix des panneaux solaires, on finira aussi par avoir une énergie solaire PV suffisamment basse même dans les zones moins ensoleillées que ces zones arides.
Bref, la place n’est pas un facteur limitant. Quand l’énergie solaire PV permettra de produire du gaz de synthèse pour moins cher que les énergies fossiles qu’on extrait du sol, il y aura assez de place disponible sur Terre sans problème pour se déployer jusqu’à remplacer toutes les énergies fossiles !
Quid maintenant des matières premières nécessaires pour le parc solaire PV ?
Nous étions arrivés plus haut à 9,310m2 pour 1MW de puissance installée, soit 9,310km2 pour 1,000GW. Donc avec 2.2 millions de km2 nous avons 2.2 millions*1,000/9,310=236,000 GW de puissance totale installée.
Une installation d’1MW de puissance installée a besoin de 3,000 panneaux de 350 watts de puissance. Ce qui fait 3 millions de panneaux pour 1GW. Nous allons donc avoir besoin de 236,000 *3 millions = 708 milliards de panneaux de 350 watts.
Par ailleurs un panneau solaire standard de 350 watts pèse 21kg dont 76 % de verre, 10 % de polymère plastique, 8 % d'aluminium, 5 % de silicium, 1 % de cuivre et moins de 0,1 % d'argent et autres métaux.
Mais il faut bien voir que c’est la situation aujourd’hui ! Une des raisons pour lesquelles le coût des panneaux va baisser est qu’on parviendra à les produire avec moins de matière, les besoins en matières par watt de puissance installée ne peuvent que baisser !
C’est le verre dont on aura le plus besoin à date, pour en faire il faut surtout du sable et du calcaire, qui sont suffisamment abondants. Il faut aussi beaucoup d’énergie, on en reparle au point suivant. Mais devinez quoi ? On sait déjà aujourd’hui faire des panneaux solaires sans verre ! C’est ce que fait l’entreprise Bila Solar, 350 watts à 6.4kg, plus que trois fois plus légers que la norme aujourd’hui, et pour une même durée de vie !
La matière souvent montrée du doigt est le cuivre. Pour notre parc de panneaux solaires à même de produire l’énergie solaire PV nécessaire pour produire tous les hydrocarbures consommés en 2022, il faudra 708 milliards*21kg*1%=148.7 millions de tonnes de cuivre, disons 150 millions.
Les réserves de cuivre dans le monde sont estimées aujourd’hui à 870 millions de tonnes, et les ressources en cuivre à 5,000 millions de tonnes. Les réserves sont des gisements qui ont été découverts, évalués et jugés rentables. Les ressources sont bien plus importantes et comprennent des réserves, des gisements découverts potentiellement rentables et des gisements non découverts prévus sur la base d'études géologiques préliminaires. Le cuivre est naturellement présent dans la croûte terrestre. Pour se donner une idée, en l’an 2000 les réserves étaient estimées à moins de 350 millions de tonnes.
Pour la matière considérée comme la plus problématique, il faudra 17% des réserves estimées à ce jour, et 3 % des ressources.
Enfin, on ne le dit pas souvent, mais au pire des cas on peut substituer au cuivre l’aluminium :
L'aluminium a certes 60 % de la conductivité du cuivre, vous avez donc besoin d'un fil 25% plus épais pour les mêmes résultats. Cependant, l’aluminium contenu dans ce fil équivalent coûtera et pèsera environ la moitié des valeurs pour le cuivre.
L'aluminium est 1 200 fois plus abondant que le cuivre.
Quid de l’argent ? Il en faudrait en l’état 15 millions, bien plus que les réserves actuelles. On l’utilise pour l’instant car il est disponible et à un prix abordable. Quand le prix montera on trouvera autre chose. Et on a déjà trouvé. "Les technologies qui utilisent des métaux moins chers sont désormais suffisamment avancées et seront bientôt mises en production de masse une fois que les prix de l'argent augmenteront", selon Zhong Baoshen, président de Longi Green Energy Technology Co., le plus grand fabricant de panneaux au monde. Les fabricants parlent d’utiliser du cuivre et de l’aluminium.
Le silicium (silicon en anglais), est ultra abondant, constitue plus de 27% de la croûte terrestre, se trouve dans le sable et le quartz, il n’est pas limitant.
Bref, le cuivre et les autres matières premières ne seront pas non plus le facteur limitant !
Quid des besoins en matière pour le parc de machines de Terraform Industries ?
Nous venons de voir ce qu’il en était pour les panneaux solaires, voyons maintenant pour les machines de Terraform Industries requises, du type Terraform Mark One. Une puissance installée totale de 236,000 GW, ou 236 millions de MW, sera associée à 236 millions de ces machines nécessitant une puissance d’1 MW. Cette machine sera comparable en masse à une automobile nous dit Terraform Industries (mais bien moins complexe), disons 2 tonnes pour être large. Il faudra donc en tout et pour tout 500 millions de tonnes de masse, qui pourront être recyclée. Leur machine Mark One n’utilise pas de métaux rares, c’est un impératif de conception pour l’entreprise. Juste un peu de nickel, très peu de cuivre, juste pour les câbles.
L’entreprise prévoit qu’il suffira d’en construire 60 millions par an pour être tranquille. Soit 120 millions de tonnes de masse par an. Supposons que ce soit principalement de l’acier, il n’y aura pas de problème, la production d’acier était de près de 2 milliards de tonnes en 2022 et est largement extensible, car reposant sur le fer, parmi les éléments les plus abondants de la croûte terrestre.
Quant au nickel, il en faut 25kg par machine. On aura besoin en tout de 236 millions de machines, cela fait donc à peu près 6 millions de tonnes de nickel, soit moins de 7% des réserves mondiales de nickel qui sont de 94 millions de tonnes. Sachant que le nickel, comme le cuivre et la plupart des métaux, se recycle très bien.
La construction de ces machines ne sera pas un facteur limitant.
Quid de l’énergie nécessaire pour produire les panneaux ?
On estime qu’il faut 200 kWh d’énergie aujourd’hui pour produire un panneau de 100 watts.
Supposons qu’il faille de l’énergie sous la forme de gaz, et qu’on parle d’un panneau standard. On est donc très pessimiste, car on a vu qu’il existe déjà des panneaux solaires 3 fois plus légers que la norme à puissance égale en watts et ne nécessitant pas de verre, qui est énergivore à produire.
Supposons qu’un tel panneau de 100 watts fonctionne 6 heures par jour, 80% des jours de l’année, pendant 25 ans, il va produire 100*6*365*0.8*25=4.38MWh d’énergie solaire électrique, qui, avec 30% d’efficacité énergétique dans la conversion avec les machines de Terraform Industries, donne 1,300 kWh d’énergie sous la forme de gaz.
Il faut donc investir au départ 200 kWh en énergie au maximum pour en obtenir ensuite 1,300 kWh sur 25 ans, un investissement énergétique plus que rentable. Le déploiement va prendre un certain temps, on va le voir dans la prochaine partie, mais le besoin énergétique ne peut pas l’empêcher !
Beaucoup a été dit sur le Taux de Retour Énergétique (TRE) des énergies renouvelables. À écouter certains, dont Jean-Marc Jancovici, celui-ci va empirer au fur et à mesure qu’on devra faire sans les énergies fossiles. Mais c’est une imposture, comme l’a démontré de façon magistrale cette vidéo sur la chaîne du Réveilleur : quand on considère l’énergie utile finalement utilisée, le TRE des énergies renouvelables devraient en fait s’améliorer au fur et à mesure qu’on remplacera les énergies fossiles par d’autres dans les situations où elles sont particulièrement inefficaces : dans le transport terrestre, le chauffage, pour pour certaines machines ou procédés industriels par exemple.
4. Au rythme actuel des déploiements de panneaux, avec un parc total installé qui double tous les 2 ans, on atteindra la taille critique avant 2040
Nous avons vu en partie 2 que la démarche est déjà rentable dans certains endroits et le sera bientôt presque partout, apportant ainsi les incitations et le combustible financier pour une explosion exponentielle des installations, même si le coût des panneaux solaires cesse de baisser après cela.
En partie 3, nous avons vu que ni la place, ni les matières premières, ni l’énergie ne pourront empêcher l’inévitable remplacement des énergies fossiles par les hydrocarbures de synthèse.
Mais reste la question du calendrier, combien de temps cela va-t-il prendre pour arriver à 236,000 GW de puissance totale installée ?
Le parc total mondial installé à fin 2023 sera autour de 1,600 GW. Nous avons vu précédemment qu’à fin 2023 il aura fallu moins de 2 ans pour voir ce parc total doubler. Le temps mis pour doubler s’est même réduit de doublement en doublement depuis un certain temps.
Supposons que le temps mis pour doubler cesse de se réduire et même ralentisse un peu pour se stabiliser à tous les 2 ans.
Cela donne :
2025 : 3,200 GW
2027 : 6,400 GW
2029 : 12,800 GW
2031 : 25,600 GW
2033 : 51,200 GW
2035 : 102,400 GW
2037 : 204,800 GW
2039 : 409,600 GW
On parle là d’un chantier titanesque, sans l’ombre d’un doute, l’industrie des panneaux solaires va exploser et devenir centrale dans l’économie, mais rien d’impossible ici, au contraire, la rentabilité, l’espace, les matières premières le permettent tout à fait. Cette révolution pourra être décalée, retardée de quelques années, mais elle est inéluctable, inarrêtable, et du reste déjà lancée.
Avant fin 2040, nous devrions être en mesure de synthétiser de façon neutre en carbone, et pour moins cher qu’aujourd’hui, l’équivalent de la quantité d’énergie fossile consommée en 2022 dans le monde.
5. La fusion nucléaire commerciale, ce n’est pas pour 2095
Jean-Marc Jancovici dans son cours à l’École des Mines numéro 6 n’envisage pas un début d’exploitation commerciale de la fusion nucléaire avant 2095, « Vous oubliez, cela ne fait pas partie des moyens du bord » dit-il ex cathedra. Il l’assimile au projet ITER qui effectivement ne progresse pas vite.
Mais dans le privé, l’écosytème est en plein boom, avec plus de 40 entreprises sur le créneau comme le rapporte The Economist, et il y a maintenant de sérieuses raisons d’avancer cette date drastiquement.
Parce que le nucléaire a longtemps voulu dire chantiers pharaoniques nécessitant l’intervention des états, Jean-Marc Jancovici considère que cela ne peut pas changer.
Mais on disait pareil du spatial, souvenez-vous, seuls quelques états peuvent concevoir et fabriquer des fusées, aucun d’entre eux ne pourra jamais faire se reposer une fusée…
Jusqu’à ce qu’Elon Musk vienne dynamiter ces idées reçues. Et il en a maintenant inspiré plus d’un dans d’autres domaines longtemps considérés la prérogative des nations.
L’exemple de Commonwealth Fusion Systems
Prenons par exemple l’entreprise Commonwealth Fusion Systems (CFS), qui a levé 2 milliards de $, elle vise la première réaction à énergie positive pour 2025, avec un déploiement commercial rapide à partir de 2030.
2030 ! Là où Jean-Marc Jancovici nous parle de 2095, mais que s’est-il passé ?
Voici le résumé d’un entretien avec le fondateur de CFS, intitulé « Peut-on remplacer toutes les centrales au charbon d’ici à 2040 ? » :
Des innovations récentes en science des matériaux ont permis de mettre au point des superconducteurs qui peuvent ensuite être utilisés pour faire des aimants bien plus puissants que ce qu'on savait faire jusque-là : "un changement radical dans les 300 ans d’histoire des aimants".
La communauté des chercheurs sur la fusion leur a dit :" Si vous aviez cet aimant, cette machine fonctionnerait et serait très petite. Nous ne voyons pas de véritables obstacles à part cet aimant "
Ils ont réussi à le créer cet aimant, deux fois plus puissants que l'état de l'art jusque-là.
CFS s'en sert pour construire un appareil pour la fusion bien plus petit que ce que fait ITER, qui n'utilise pas ces innovations : ça tient dans un garage, contre un bâtiment de la taille d'un stade pour ITER, qui est le plus grand projet de construction en Europe.
En fait CFS a fait en 3 ans sur leur technologie des aimants ce qui a pris 25 ans à ITER.
ITER vise la première réaction à énergie positive pour 2035, CFS vise 2025.
Ensuite, le déploiement commence en 2030, et pourra aller très vite. Comme CFS a un système compact et utilise la fusion pour faire chauffer de l'eau, pas forcément besoin de reconstruire des centrales de zéro, ils vont pouvoir reconvertir les centrales au charbon et gaz dans le monde.
En avril, les autorités aux Etats-Unis ont décidé que la fusion serait beaucoup moins réglementée que la fission nucléaire, car présentant bien moins de risques. Les déploiements seront bien plus faciles politiquement, et donc plus rapides et moins chers.
L’exemple d’Helion
Intéressons-nous également à un deuxième acteur, Helion.
Helion a levé 500 millions de $ en 2021, dont 375 millions investis par Sam Altman, qui n’est autre que le CEO d’OpenAI. Avant cela il était le CEO de Y Combinator, l’incubateur à succès très réputé derrière des succès comme Airbnb, Dropbox ou Stripe.
Il s’agit de son plus gros investissement jamais réalisé dans une start-up. Il écrivait en juillet 2022 : « Helion a progressé encore plus vite que prévu et est en bonne voie en 2024 pour 1) démontrer la fusion avec un gain d'énergie net et 2) résoudre toutes les questions nécessaires à la conception d'un générateur de fusion à fabriquer en masse. »
« Les objectifs sont assez ambitieux : une énergie propre et à 0.01$/kWh et la capacité de fabriquer suffisamment de centrales électriques pour satisfaire la demande électrique actuelle de la Terre d’ici à dix ans. »
Sam Altman avait initialement investi 10 millions de $ dans Helion, mais avait ensuite considérablement augmenté son investissement, il était devenu très confiant que cela allait fonctionner.
Helion prévoit à terme de construire des centrales de la taille d’un grand container (15m2) capables de produire de l’électricité d’une puissance de 100MW. Par comparaison, avec des panneaux solaires il faudrait 931,000 m2, 62,000 fois plus de place.
En mai 2023, Helion annonçait un accord d'achat d'électricité avec le géant du logiciel Microsoft. Helion mettra sa première centrale en service en 2028, avec atteinte de sa pleine capacité de production d'au moins 50 MW moins d’un an plus tard.
« Il s'agit d'un accord contraignant qui entraîne des sanctions financières si nous ne parvenons pas à construire un système de fusion », a déclaré David Kirtley, fondateur et CEO d'Helion. « Nous nous sommes engagés à pouvoir construire un système et le vendre commercialement à Microsoft. »
Helion a développé et testé à ce jour six prototypes. L’entreprise avait annoncé en 2021 que le dernière prototype avait atteint des températures de plus de 100 millions de °C, ce qui en fait la première entreprise privée à révéler publiquement qu'elle avait atteint les températures nécessaires pour envisager une exploitation commerciale. Helion développe un système particulier, dit « de fusion pulsée sans allumage », qui a l’avantage de ne nécessiter de la fusion que pendant de courtes périodes.
L'entreprise en construit actuellement un septième, Polaris, avec début des opérations en 2024. Ce sera la première fois qu’une machine à fusion démontrera qu’elle peut créer de l’électricité à partir de la fusion avec un gain d’énergie net.
Les progrès technologiques dans les domaines des ordinateurs, de l’électronique et des réseaux à fibres optiques rendent maintenant l’approche d’Helion possible.
Helion compte utiliser de l’hélium-3, mais pas besoin d’aller le chercher sur la lune, il sera produit en fusionnant du deutérium dans ses générateurs à fusion.
Mais où trouver ce deutérium ? Ce n’est qu’une forme d’hydrogène avec un neutron en plus dans son noyau, présent dans toutes les formes d’eau. Les océans de la Terre en contiennent assez pour produire 10¹⁶ TWh d’électricité, soit suffisamment pour répondre à tous les besoins énergétiques actuels de l’humanité pendant des milliards d’années.
Les entreprises les plus en pointe parlent donc d’un début de déploiement dès 2028 et 2030 ! Il y aura certainement du retard, mais de là à dire qu’il ne faut rien en attendre avant 2095, tout de même ! J’ai demandé à Jean-Marc Jancovici, qui m’a déjà répondu en personne sur d’autres points, s’il souhaitait revoir cette date à l’aune de ces dernières informations, j’attends encore sa réponse.
L’humanité a relevé un défi similaire il y a plus de 100 ans !
On s’en sortira avec le solaire par les prix, avec une abondance énergétique neutre en carbone en vue avant 2050, sans avoir à choisir à partir de là entre pauvreté ou sobriété ! La fusion pourra venir aussi à la rescousse pour accélérer encore ce calendrier, mais ce n’est pas indispensable.
D’ici là cependant, toutes les émissions de CO2 qui ne pourront pas être capturées et stockées, c’est-à-dire la quasi-totalité, vont continuer de pourrir l’atmosphère, il reste donc urgent de continuer à investir dans les autres « climate tech » et de prôner la sobriété autant que possible pour limiter plus encore la casse en attendant.
En 1898, l’homme de science Sir William Crookes tint un discours d’anthologie à la “British Academy of Sciences” devant tout le gratin scientifique de l’époque. Il lança un avertissement sans concession à l’auditoire : notre planète allait bientôt manquer d’engrais naturel pour permettre à l’agriculture de fournir assez de nourriture à l’humanité. D’ici à 1930-1940 au plus tard, faute d’inventer et produire en quantité suffisante des engrais de synthèse (du “fumier chimique” dit-il, “chemical manures”), la famine tuerait par centaines de millions. On sait maintenant qu’il avait raison sur toute la ligne, sans engrais de synthèse, l’agriculture “naturelle” sur Terre ne peut nourrir que 4 milliards de personnes environ.
Le facteur limitant étant l’azote fixé dans des molécules faciles à exploiter par les plantes : bien que notre atmosphère regorge d’azote (78% de sa composition), celui-ci est inerte et non exploitable par les plantes par défaut. Les processus naturels qui le fixent dans des molécules exploitables sont lents, c’est tout le problème. L’avertissement de Sir William Crookes, doublé d’un appel solennel à l’innovation, fit immédiatement sensation et se répandit très vite dans la communauté scientifique et au-delà.
En 1909, le chimiste allemand Fritz Haber parvint à fixer l'azote atmosphérique en laboratoire. En 1913, à peine cinq ans plus tard, une équipe de recherche de la société BASF dirigée par Carl Bosch mit au point la première application industrielle des travaux d'Haber : le procédé Haber-Bosch. C’est ce procédé qui permet à ce jour de produire assez d’engrais de synthèse pour nourrir bientôt 8 milliards d’Homo sapiens. Il y aurait deux fois moins d’âmes sur Terre sans cela aujourd’hui. Difficile depenser à une innovation aussi capitale au XXème siècle.
Terraform Industries va capitaliser sur la chute du coût de l’énergie solaire PV pour populariser une technique cousine : fixer le CO2 de l’atmosphère pour produire les hydrocarbures dont nous allons avoir besoin, quoi qu’on en dise, pour offrir aux prochaines générations un monde d’abondance, et cela à très grande échelle, sans réchauffer la planète et en battant les énergies fossiles sur les prix.
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